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Largement passé sous silence en France du fait de la « crise des sous-marins », dont nous allons consacrer un court billet de blog dans un avenir proche, un tremblement de terre a récemment secoué le petit entre-soi de Washington. La Banque mondiale a en effet publiquement abandonné son classement annuel « Doing Business » le 16 septembre 2021, par suite des accusations d’irrégularités dans les classements de 2018 et 2020. 

Il y avait déjà eu un précédent, mi-2018 lorsque le futur (faux) prix Nobel d’économie Paul Romer, alors chef économiste de l’institution, avait accusé les équipes consacrées au Doing Business d’avoir défavorisé le Chili pour raison idéologique, la présidence du pays étant alors occupée par la socialiste d’ascendance française Michelle Bachelet. Si l’accusation concernant le Chili était apparemment infondée, le rapport d’audit, veritable thriller de 16 pages soumis au Conseil d’administration (Board of Executive Directors) de la Banque, rendu public le 16 septembre 2021, a informé de mise en pression régulière des effectifs et d’une gestion tyrannique d’un des créateurs et responsables principaux du classement, l’économiste bulgare Simeon Djankov.

Si cela a fait autant scandale, au-delà des pressions et intimidations exercées, c’est parce que Djankov et Kristalina Gueorguieva, alors numéro deux puis présidente par intérim de la Banque (nous reviendrons sur son cas juste après) sont accusés d’avoir manipulés le classement en faveur de certains pays, à savoir l’Arabie Saoudite, la Barbarie Wahhabite, l’Azerbaïdjan, les Emirats Arabes Unis et surtout la Chine, dans un contexte international de tension sino-américaine extrêmePour être clair, il n’est pas du tout sûr que la Chine ait exercé directement des pressions pour revoir son classement à la hausse, la peur de voir le troisième contributeur diminuer son financement à l’institution en cas de déclassement ayant peut-être été suffisante. 

L'affaire risque de sérieusement éclabousser le Fonds Monétaire International (FMI), institution de Bretton Woods jumelle de la Banque mondiale, parce que Gueorguieva  est devenu entre-temps directrice générale de l'institution, remplacant Lagarde par le jeu des chaises musicales. 

Cela dit il serait trop simple de s'en arrêter là. Le classement « Doing Business », dit de facilité à faire des affaires est censé indiquer quels sont les meilleurs pays en matière de dynamisme économique, ce que le jargon appelle conventionnellement le « climat des affaires ». Supposément « objectif », ce classement favorise grosso modo toute réforme de libéralisation du marché du travail et de privatisation d’actifs publics et de façon plus générale le modèle de capitalisme financier anglo-américain fondé sur la réussite individuelle et le profit financier à court terme ainsi que le droit jurisprudentiel de common law, réputé être plus favorable aux milieux d’affaires. Peu surprenant lorsque l’on se souvient que le profil de certains de ses concepteurs (Djankov, mais aussi le russo-américain Andrei Shleiffer) à savoir des anciennes élites technocratiques rouges, converties aux intérêts américains et à la thérapie de choc dans les années 1990. Voilà ce que dit le juriste Alain Supiot, professeur au Collège de France, concernant le « Doing Business »  :

 

Source : Alain Supiot (2015) « La Gouvernance par les Nombres », Fayard.

 

Or, le dynamisme économique chinois, tout à fait stupéfiant ces vingt dernières années, ne s’est absolument pas appuyé sur les recettes préconisées par Djankov et compagnie : bénéficiant des délocalisations massives occidentales des années 2000-2010, son modèle économique est certes libéralisé au niveau des prix à la consommation et, dans une certaine mesure, dans la « gestion managériale » de ses grands groupes, mais reste largement dirigiste dans les prix et l’allocation des facteurs de production (travail, capital, terre, R&D...). Du « néo-colbertisme »  en quelque sorte :

 

Source : Michel Drac (2020), « Crise Economique ou Crise du Sens » dans « Essais », Le Retour aux Sources.

 

Aussi on comprend mieux le décalage entre le relativement mauvais rang de la Chine dans le classement durant la décennie 2010 du fait d'un indicateur mécaniquement en sa défaveur (malgré de potentiels arrangements politiques) et ses performances économiques sans commune mesure au niveau mondial depuis l’après-guerre, défiant tous les pronostics et prévisions :

 

Source : Zbignew Brzezinski (1997), « Le Grand Echiquier » , Basic Books. En 1997 on pensait que le PIB en Chine pour l'année 2010 serait de l'ordre de 735 dollars par habitant...

 

Figure : Evolution du PIB par habitant, Brésil, Chine et Inde (1960-2019)

Source : Banque mondiale. En réalite, le PIB de la Chine était d'environ 4550 dollars par habitant en 2010 (plus de 10 000 dollars par habitant en 2019). On parle ainsi d'un rythme de croissance coréen mais avec l'équivalent de 20 Corée du Sud mises en action simultanément.

 

Quatre derniers éléments à prendre en compte pour mettre en perspective la puissance économique chinoise, au-delà de la polémique « Doing Business » : (i) depuis la révolution1 communiste sa population massive s’est alphabétisée et est rentrée dans le temps historique ; (ii) le pays dispose d’un très haut niveau de QI moyen et d’une instruction considérée comme extrêmement exigeante et rigoureuse ; (iv) le pays maîtrise de plus en plus de technologies de pointe (iii) si l’on extrapole, aux Etats-Unis, les Asiatiques-Américains (les Est-Asiatiques, dont les Sino-Américains et Sud-Asiatiques, dont les Indo-Américains) représentent moins de 6% de la population totale, mais plus de 40% des étudiants en première année au Massachusetts Institute of Technology (MIT), toujours réputé être l’un des meilleurs instituts scientifique et de technologie du monde.

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1 : En mandarin, révolution peut se traduire par « changement de dynastie ».

Tag(s) : #Etats-Unis, #Chine
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